LE SIÈCLE DU NU ACADÉMIQUE
Les dépôts réglementaires et légaux
Gleyre, dessin-académique
Titre / Le modèle
Photographie
anonyme.
D'après, Peintre : Robnoven. Date de
création : 1891. Lieu de création : Paris.
Numéro d'inventaire : Ph
22507
Matière et technique : Photoglyptie
Mesures : Haut. avec montage en cm
: 34,6. Larg. avec montage en cm : 46,6. Haut. en cm :
18,6. Larg. en cm : 27,8.
Inscriptions et marques :
En
bas à gauche. " Robnoven / Paris 1891". Sur
l'oeuvre originale. En haut à gauche. " LAURETTA
FORTUCCI". Sur l'oeuvre originale.
Inscription au
crayon. Emplacement : Sur le montage, en h. à dr.. " N°
3670".
Tampon. Emplacement : Sur le montage, en bas
centré. " ECOLE NATIONALE DES BEAUX-ARTS /
BIBLIOTHEQUE / 23154". à l'encre noire.Historique administratif : Notice n° 105073
Numéro
d'entrée : PC 23154. Date d'acquisition : 19 juillet
1891. Nombre d'objets : 40. Dépôt légal
(reversement).
Indexation sujet: Jeunes
femmes / Modèle féminin / Nu
féminin / Peintres / M5051_Ph22507-87234.JPG
Cop. Ecole
nationale supérieure des beaux-arts, Paris. Photo. Claire Tabbagh.
La reproduction de cette image numérique n'est autorisée qu'à des
fins non commerciales, de recherche, d'éducation ou de
documentation.
Les dépôts conservés dans les
archives de l’école des Beaux-Arts de Paris, reflet exact d'un art
contemporain Fin de siècle, alors largement apprécié par le
public, sans doute masculin et on peut comprendre aisément pourquoi,
comportent un nombre certain de reproductions, plus rarement
d'originaux, où la mise en scène sert de prétexte à présenter
une composition érotique plus ou moins explicite.
Le sujet peut être une référence
directe à un fait historique comme cette évocation de condamnés
esclaves ou chrétiens livrés aux lions dans une arène romaine, où
le groupe des jeunes femmes dénudées semble assez évocateur.
Mythologique, avec ces curieuses et
attentives Dianes chasseresses guettant leur proie, mais le tableau
sait également se montrer complètement fantaisiste, l'essentiel en
restant la représentation d'un joli corps de femme en situation,
même improbable, comme cette Libellule aux ailes minuscules qui vole
ou plutôt flotte dans les airs.
De tout temps l'homme a trouvé plaisir
à contempler un corps harmonieux, avec ou sans artifices. Et le
peintre, ou le sculpteur, aura toujours l'avantage sur le photographe
de pouvoir regarder deux fois son modèle, de l'observer en nature
mais aussi en train de se faire.
Dès lors, quoi de plus naturel que de
se le représenter en peinture et l'artiste du XIXème siècle
s'impose comme un incontestable spécialiste du genre.
Avec l'arrivée de l'art moderne, la
femme a perdu ses formes, les nus académiques, désormais jugés
vulgaires, ont été mis à l'index pendant près d'un siècle.
Doit-on continuer a en avoir honte aujourd'hui ? La question mérite
bien d'être posée.
On entend
généralement par "nu académique", d'abord un grand dessin abouti, ensuite une peinture
ou encore une sculpture représentant un nu ou, rarement, plusieurs. L'académie se fait
d'après un modèle vivant et c'est par ailleurs le nom donné aux cours de nu dispensé
obligatoirement jusqu'en 1970 dans les écoles des Beaux-Arts. L'exécution du nu
est soignée et naturellement toujours figurative. Les poses sont variées et la référence originelle à l'antiquité prendra avec le temps une importance toute secondaire.
De l'Antiquité en passant par la Renaissance, la
représentation du corps a toujours occupé une place
importante dans l'enseignement et le goût artistique occidental. Le dessin
d'après modèle vivant devient d'ailleurs au XIXème siècle la dernière étape du
cursus de l'école des Beaux-Arts.
Dès la Renaissance, l'anatomie, indissociable du nu,
fait partie intégrante de l'éducation des artistes qui est dispensée par les
académies, ancêtres de nos écoles d'art. Habituellement, l'apprentissage commence à partir du dessin d'après l'antique, complété par celui du modèle vivant
et, dans la mesure du possible, par l'observation de la dissection des cadavres. Afin de mieux saisir toutes les subtilités de la morphologie humaine, du mouvement, des études préalables à la représentation
de l'académie analysent en détail toutes les parties du corps avec une attention particulière concernant les muscles et les articulations.
Le nu académique lorsqu'il est dessiné peut parfaitement se suffire en lui-même, par contre la mythologie fournit
en principe les thèmes de mise en scène du nu peint à travers : Apollon, Ariane,
Persée délivrant Andromède, Diane et Actéon ou encore Mars et Vénus. La Bible
constitue une autre source d'inspiration avec Adam et Eve, Loth et ses filles,
David et Bethsabée, Suzanne et Joachim, les scènes de martyr… Initialement, les
représentations de nus sont étroitement liées à la peinture d'histoire qu'elle
soit antique, biblique ou mythologique. Au XIXème siècle, les orientalistes se distingueront avec des odalisques plus ou moins dévêtues sans oublier les scènes de Harem et de Hammam.
L'étude du corps se fait donc d'après nature mais aussi par
copie des œuvres d'art antique que l'artiste débutant, à défaut de moulages,
trouve dans des recueils de reproductions spécialement prévus à cet effet, et
qui font office de manuels de morphologie. Dès sa création, l'école des
Beaux-Arts fait référence à ces canons classiques qui
constitueront la règle de son enseignement jusqu'au milieu du XXème
siècle. A l'Ecole des Beaux-Arts de Paris mais aussi dans celles de province, un style
et une personnalité dominent au XIXème siècle : le néo-classicisme et Jean-Auguste
Dominique Ingres.
L'enseignement d'Ingres donnait comme modèle un idéal de
beauté classique atteint par l'étude et la mise en forme fidèle des sources
antiques, ce qui va de pair avec l'affirmation de la primauté du dessin sur la
couleur, de la symétrie et de la clarté de la composition sur le mouvement. Les
professeurs s'efforceront de maintenir cette tradition néoclassique.
Cependant, parallèlement, des artistes indépendants
comme les réalistes, les impressionnistes, ou même certains "officiels",
c'est-à-dire achetés par l'Etat et exposant avec succès au Salon,
vont s'engager dans d'autres voies. Parmi ces voies, l'une d'entre elles se confondant avec
l'académisme, connut un large succès à la fin du règne de Louis-Philippe, sous
Napoléon III et la Troisième République, il s'agit de la mouvance dite
éclectique. Ces partisans veulent s'inspirer de toutes les époques, de l'Antiquité, de
l'Orient, du Moyen-Âge comme de la Renaissance, sans aucune hiérarchie, et reprendre dans leurs oeuvres les costumes, les décors, avec toute la précision
archéologique nécessaire. Le nu ne sera donc plus forcément Vénus mais pourra devenir Cléopâtre ou Odalisque. Les artistes qui plaisent alors à la noblesse, à la haute
bourgeoisie, à l'Etat, appartiennent surtout à cette tendance stylistique de
l'éclectisme, que l'on nommera ensuite péjorativement et par dépit : l'art
pompier.
Suivant un certain goût et sans négliger l'importance de la demande, la fin du XIXème et le début du XXème siècle atteindra un sommet dans la production de nus et la femme deviendra la plupart du temps le sujet central du tableau. Toutes les autres références - préfabriquées - ne seront finalement et probablement là que pour assoir l'alibi moral.
Études académiques - Pierres noires ou mine de plomb
Alphonse-Alexandre Leroy 1820-1902
Auguste Gorguet 1862-1927 Louis-Ducornet 1806-1856
Ernest Hébert 1817-1908
Claude Menninger
Louis David, Hector
En
1850, les modèles sont alors couramment payés un franc de l'heure, c'est-à-dire
environ trois euros d'aujourd'hui. Vers 1875, la pose ordinaire de quatre
heures coûtera environ cinq francs pour les artistes mais seulement trois pour
les écoles d'art, à la condition toutefois que celles-ci emploient le modèle
régulièrement. La photographie, en passe de se démocratiser, commencera ensuite
à concurrencer sérieusement les modèles vivants, au moins dans certains
ateliers privés.
Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850 modèles
professionnels, très souvent d'origine italienne. Ils résident essentiellement
dans les quartiers de Saint-Victor à Paris. Les femmes, de préférence avec des
formes généreuses, sont alors payées cinq francs, 40 €uros actuels, pour une
séance de quatre heures et les hommes, moins recherchés, quatre francs pour la
même durée.
Selon l'expression d'alors, on ne trouve pas de
cuisse de nymphe à moins de un franc de l'heure, alors qu'un Jupiter olympien
peut se négocier autour de quinze sous, mais un modèle mâle pose à tout âge
tandis que la beauté d'un modèle féminin est forcément éphémère. Les nobles
vieillards à grandes barbes blanches restent toujours recherchés afin
d'incarner quelques Dieux, alors que les femmes aux formes fluettes ou bien
celles qui évoquent les rondeurs à la Rubens doivent nécessairement être assez
jeunes.
Par ailleurs et pour la petite histoire, avant la séance de pose, il n'est
semble-t-il pas rare de demander au modèle de bien vouloir faire un brin de
toilette...
C'est
le professeur, éventuellement le massier, qui détermine la pose du modèle, plus
exceptionnellement des modèles, celle-ci peut être plus ou moins longue en
fonction du cours - études rapides sous forme de croquis ou dessin académique
plus poussé. La salle d'étude ou l'atelier est toujours munie d'un paravent
avec peignoir afin que le modèle puisse se dévêtir en toute "pudeur"
et hors des regards, une estrade ou une table tournante sans oublier un
radiateur d'appoint avec parfois quelques éclairages complètent l'équipement.
http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/nu_academique2.htm
Sans doute Hébert posant dans l'atelier de David d'Angers
Afin d'aider le modèle à tenir la pose, on notera le système de réglage de l'appui.
Dessins académiques de Ernest Hébert et de Alexandre Leroy
Mis à part ces modèles professionnels qui prennent la pose dans les écoles et les ateliers privés des artistes afin de gagner leur vie ou, à défaut, arrondir leur fin de mois, il arrive que d'autres prêtent gracieusement leur concours. Ici, il s'agit la plupart du temps de l'épouse ou de la compagne de l'artiste qui se trouve mise à contribution, elle pose d'abord pour faire plaisir, parfois par amour, mais rarement par agrément. En effet tenir ladite pose sans bouger, au bout d'un certain temps, devient une opération des plus fastidieuse, désagréable même et les hommes qui se prêtent au jeu sont extrêmement rares. Force est donc de reconnaître que jusqu'à l'aube des Années-Folles et dans une moindre mesure après, l'art se conjugue essentiellement pour l'auteur au masculin et pour le modèle au féminin.
Fantaisies suggestives fin de siècle
Paul Leyendecker 1842-1898
Jules Garnier 1873
Ce tableau semble bien représentatif du goût qui s'annonce pour la représentation de la nudité ostentatoire. Ici, il ne s'agit pas de la Vénus de Cabanel mais la pose est tout autant langoureuse.
L'artiste joue sur les contrastes et pense mettre en valeur le beau corps blanc de l'européenne par opposition à la présence des indiens à la peau noire.
Scène incongrue : Que fait-elle, que font-ils ici ? L'air nonchalant plus qu'hagard, elle regarde le spectateur, eux - les sauvages - l'observent médusés plus qu'admiratifs. A n'en pas douter, la référence à quelques faits historiques ou mythiques existe bel et bien mais le spectateur d'aujourd'hui - et peut-être aussi celui d'hier - l'ignore. Profanes, nous ne voyons qu'une belle femme allongée qui ne cache rien, pour notre plaisir sûrement et, finalement, que ferions-nous à la place des deux indiens ?
A noter, la calligraphie de la signature bien lisible et de grande taille, usage assez courant à l'époque.
Tony Robert-Fleury 1838-1911 - Le dernier jour de Corinthe, vers 1870 - Huile sur toile 400 X 600 - Paris, musée d'Orsay
La
femme devient fréquemment le thème central de l'oeuvre, sous forme d'allégorie
ou, plus prosaïquement, dans sa vie quotidienne. Mais la peinture d'histoire ne
disparaît pas totalement, elle continue à interpréter les événements qui ont marqué
le présent et surtout le passé, aussi quand le sujet le permet, elle ne se
prive pas de mettre en scène des nus. Le nu féminin, quel qu'en soit le
prétexte, reste l'un des thèmes favoris du XIXème siècle et
l'érotisme qui s'y rattache se distingue souvent dans la peinture d'histoire par
des scènes de violence et de cruauté mais le martyr se doit d'être éternellement
beau et digne.
Le monumental tableau de Tony Robert-Fleury, Le
dernier jour de Corinthe, est un reflet plus romantique que crédible de
la catastrophe. Pourquoi les jeunes femmes sont-elles dénudées, sortent-elles
d'un lupanar ? Plus sûrement elles sont là pour plaire à tout un public
d'amateurs - averti !
Paul
Jamin (1853-1903), Le Brenn et sa part de butin, huile sur toile 162 x 118.
La
Rochelle, musée des Beaux-Arts
Il
n'est pas certain que la scène ait un jour figuré dans les manuels scolaires -
trop triviale, trop gauloise, qu'en penseraient les écoliers et les garçons surtout
! Pourtant, bien qu'idéalisé le Brenn avec sa part de butin, autrement dit le
chef qui en plus de l'or et de l'argent se réserve de jeunes romaines brunes ou
rousses, appétissantes à souhait et déjà prêtes, a probablement du exister.
Notons que le fier gaulois avec son sourire satisfait et sa lance sanguinolente
ne manque pas d'appétit.
"Rome est enfin prise. Tout ce qu'elle contient est aux Gaulois, tout :
or, vin, femmes... Le Brenn ou Brennus, c'est-à-dire le chef est fatigué. Il a
beaucoup tué, beaucoup incendié mais toutes ces femmes splendides, ces
aristocrates lisses et parfumées sont à lui, il peut en faire ce qu'il veut,
tout ce qu'il veut..." Cavanna, Nos ancêtres les Gaulois, Ed. Albin Michel
Evariste-Vital Luminais 1822-1896, Pirates normands, musée de Moulins
Ils sont à la peine mais ils ne se sont pas trompés, les deux pirates enlèvent un vrai morceau de choix. Reste à savoir si, après, l'entente sera aussi cordiale. Luminais se complaît à peindre ce genre de scène et le tableau fait suite ou précède "Les Captives" du
Museum of Fine Arts de Boston. Son Gaulois blessé peint vers 1881, et conservé au musée de Saint-Etienne, nous montre un vaillant guerrier en train de se faire panser le poignet par une infirmière de rêve étrangement dénudée, ce qui fait dire à Cavanna : "A-t-elle mis sa robe en lambeaux pour en faire un
pansement ? Pousse-t-elle donc le dévouement jusqu'au sacrifice de sa pudeur
? Qui ne voudrait-être blessé pour se voir pansé par une telle infirmière ?"
Edmond Comte de Grimberghe 1865-1920, Odalisque
Curieuse
peinture que celle du Comte de Grimberghe, le Sultan n'a visiblement pas
confiance en sa jeune et sensuelle Odalisque, il l'a enfermée dans une cage
mais celle-ci, avec son petit sourire narquois, fume et ne semble pas en être trop
affectée ?
A quoi peut-elle bien penser ? A la liberté, est-elle en train de voyager ? En
tout cas, aujourd'hui, une telle représentation ne manquerait pas d'émouvoir et
de mobiliser les féministes.
Dagnan-Bouveret 1852 1929 - Atalante victorieuse 1874 - Musée de Melun
Victorieuse
ou pas, l'Atalante de Dagnan-Bouveret possède de belles fesses, bien rondes, et c'est
sans doute vers elles que se dirigera le regard du spectateur. Le ruban orange
assorti à la chevelure est pas mal non plus, et tant pis pour l'histoire !
Dans la mythologie grecque, Atalante est une héroïne présente dans deux
traditions différentes.
Dans la version arcadienne, elle est la fille d'Iasos, roi du Péloponnèse.
Comme Iasos ne voulait pas de fille, elle fut abandonnée à la naissance et
recueillie paraît-il par une ourse dans la forêt du Pélion. Des chasseurs la
trouvèrent et l'élevèrent ; elle devint une chasseresse redoutable. Elle fit,
comme Artémis, vœu de virginité. Ainsi périrent sous ses flèches deux
centaures, Hyléos et Rhoécos, pour avoir tenté d'abuser d'elle.
Dans la version béotienne, elle est la fille de Schoenée, fils d'Athamas. Son
père souhaitant la marier, elle ne voulut prendre pour époux que celui qui
pourrait la battre à la course ; ceux qui échoueraient seraient mis à mort. De
nombreux prétendants moururent ainsi, jusqu'à ce que se présente Hippomène, qui
aidé d'Aphrodite, laissa tomber dans sa course trois pommes d'or données par la
déesse. Curieuse, comme bien des femmes, Atalante s'arrêta pour les ramasser et
fut de cette façon devancée à l'arrivée. Mais après, comme la mythologie aime les suites dramatiques, les amants s'étant
étreints dans le temple de Déméter, ils furent changés en un couple de lions
attachés au char d'Aphrodite.