Marc VERAT - Synopsis
Dans les encyclopédies d'art et
jusqu'après l'ouverture du Musée d'Orsay, les chapitres réservés à la peinture
académique se trouvent étrangement sous-représentés ou même carrément
absents.
Leurs auteurs, lorsqu'ils parlent de la seconde moitié du XIXème
siècle, ne considèrent que l'art romantique et réaliste, Manet et les
impressionnistes et un peu le symbolisme.
Ceux qui hier et de leur vivant ont
été reconnus et adulés, c'est-à-dire les peintres académiques et "pompiers", ont
purement et simplement été rayés des cadres de l'histoire de
l'art.
La règle du copyright : L'image rentre généralement dans le domaine public 70 ans après le décès de son auteur aux États-Unis d’Amérique, en Australie, dans l’Union Européenne...
LE GRAND SIECLE DU NU - L’ART ACADEMIQUE
Tony Robert-Fleury 1838-1911 - Le dernier jour de Corinthe, vers 1870 - Huile sur toile 400 X 600 - Paris, musée d'Orsay
Fin du XIXème - La femme
devient fréquemment le thème central de l'oeuvre, sous forme d'allégorie ou,
plus prosaïquement, dans sa vie quotidienne. Mais la peinture d'histoire ne
disparaît pas totalement, elle continue à interpréter les événements qui ont
marqué le présent et surtout le passé, aussi quand le sujet le permet, elle ne
se prive pas de mettre en scène des nus. Le nu féminin, quel qu'en soit le
prétexte, reste l'un des thèmes favoris du XIXème siècle et l'érotisme qui s'y
rattache se distingue souvent dans la peinture d'histoire par des scènes de
violence et de cruauté mais le martyr se doit d'être éternellement beau et
digne.
Le monumental tableau de Tony Robert-Fleury,
Le dernier jour de Corinthe, est un
reflet
plus romantique que crédible de la catastrophe. Pourquoi les jeunes
femmes sont-elles dénudées, sortent-elles d'un lupanar ? Plus sûrement elles
sont là pour plaire à tout un public d'amateurs - averti !
Paul Jamin (1853-1903), Le Brenn et sa part de butin, huile sur toile 162 x 118 - La Rochelle, musée des Beaux-Arts
Il n'est pas certain que la scène ait un jour figuré dans les manuels scolaires - trop triviale, trop gauloise, qu'en penseraient les écoliers et les garçons surtout ! Pourtant, bien qu'idéalisé le Brenn avec sa part de butin, autrement dit le chef qui en plus de l'or et de l'argent se réserve de jeunes romaines brunes ou rousses, appétissantes à souhait et déjà prêtes, a probablement du exister. Notons que le fier gaulois avec son sourire satisfait et sa lance sanguinolente ne manque pas d'appétit.
La caractéristique de l'art académique
réside à la fois dans le fini des éléments peints très figuratifs et dans leur
précision, cette conception se trouve à l'opposé de la théorie moderne où tout
tend à s'abstraire et à se suggérer avec une finition souvent très secondaire.
Cette conception est encore associée par dérision à un simple artisanat habile,
soi-disant signe d'un manque de talent et d'originalité.
La peinture
académique, émanation directe des règles strictes du classicisme et du
néoclassicisme, constitue en quelque sorte l'antithèse exacte de l'art
contemporain mais avec toutefois un point commun de taille :
- celui d'être
ou d'avoir été soutenu par des instances officielles.
Et une différence
d'importance :
- l'adhésion du public d'alors pour la peinture académique
mais le rejet ou l'ignorance de l'art contemporain par le public
d'aujourd'hui.
L'ART
ACADEMIQUE
En permanence, hier comme actuellement, l'organisation
du système culturel, de ses valeurs, trouvera toujours ses réformateurs et même,
parfois, ses détracteurs. Ceux-ci chercheront à établir de nouvelles pratiques
et de nouvelles conceptions et, donc, à rejeter les anciens postulats officiels
malgré la résistance au changement d'une partie de la communauté professionnelle
reconnue, et attachée naturellement au maintien des anciens
fondements.
L'éducation artistique aujourd'hui n'est plus, loin s'en faut,
une initiation dogmatique dans une tradition imposée que l'étudiant n'a pas les
moyens d'évaluer ou la liberté de critiquer ; les techniques habituelles et les
exemples canoniques ont été rejetés au profit de techniques aléatoires supposées
libérer l'expressivité latente des élèves.
L'ENSEIGNEMENT DES ARTS AU XIXe
Les années 1848-1870 représentent une
époque charnière dans l'histoire de l'art en France.
Héritière des courants
dominants de la première moitié du XIXème siècle : romantisme d'une part et
néo-classicisme d'autre part, elle se poursuit jusqu'à la naissance de
l'impressionnisme.
Encore très fortement marquée par la tradition académique,
cette période est caractérisée par la persistance de structures qui constituent
ce qu'on appelle le "système des Beaux-Arts". Les artistes sont amenés à se
situer par rapport à ce système. La plupart d'entre eux en acceptent les règles
et obtiennent - généralement - la faveur du public et de la critique. D'autres,
sans remettre totalement ce système en cause, évoluent à sa marge et rencontrent
davantage de difficultés à faire admettre leurs oeuvres.
LES CARACTERISTIQUES DE LA PEINTURE
ACADEMIQUE
Chaque année, l'Académie organise un certain nombre de
concours à l'intention de ses élèves.
Le concours était considéré alors comme
le système démocratique par excellence. Outre les divers diplômes et médailles,
ces concours décidaient quels étudiants seraient admis à l'Ecole des Beaux-Arts,
à quels ateliers ils pourraient participer, et même là où ils prendraient
physiquement place dans la classe.
Durant le XIXème siècle l'apprentissage
technique du dessin dispensé par l'Ecole des Beaux-Arts se double de théorie :
En premier lieu par l'histoire générale, axée à chaque fois sur une période
donnée qui narre aux élèves des événements historiques ou mythologiques de
manière a susciter leur imagination. Du cours de littérature, que les élèves
appellent "la Comédie Française de l'Ecole", celui-ci permet d'ajouter à
l'histoire l'aspect poétique : chaque page de Sophocle ou d'Homère peut se
traduire par un tableau...
LES CONCOURS DE L'ACADEMIE
Pauvert Odette Marie, née en 1903, première femme à obtenir le prix de Rome (section peinture) La légende de saint Ronan, huile sur toile Grand prix de Rome de peinture d'histoire, 1925
Les Albums photographiques des oeuvres d'art achetées
par l'Etat, principalement aux Salons à Paris.
Conservés au Centre historique
des Archives nationales les albums dits "des Salons" présentent des oeuvres
d'art (peintures, sculptures, médailles, pièces d'orfèvrerie, relevés
d'architecture) achetées chaque année par le Bureau des Travaux d'art aux
artistes, notamment ceux qui ont exposé au Salon à Paris et y ont été
récompensés. Jusqu'en 1882, le Salon est organisé sous l'égide de
l'administration des Beaux-Arts, puis son organisation revient à la Société des
Artistes français (Champs-Elysées). A partir de 1890 un second salon qui est
aussi agréé par l'Etat, est organisé par la Société nationale des Beaux-Arts
(Champ de Mars). Les photographies des oeuvres dont l'Etat fait l'acquisition à
ce second Salon apparaissent aussi dans les albums.
Ces 33 albums forment un
ensemble homogène pour les achats et les salons de 1864 à 1901 et sont
particulièrement intéressants sur le plan documentaire. En effet certaines des
oeuvres photographiées ont disparu et les photos en constituent le seul
témoignage, mais dans leur majorité, elles existent toujours et font partie des
collections actuelles de l'Etat, qu'elles relèvent de la Direction des musées de
France lorsqu'elles sont conservées dans les musées ou de la Direction de
l`Architecture et du Patrimoine, si elles sont conservées dans des édifices,
principalement les églises.
Par ailleurs, ces albums sont aussi le reflet exact du goût et de
l'art officiel en vogue sous le Second Empire et la Troisième
République.
L'IMPORTANCE DES
SALONS
Peu avant la Première Guerre Mondiale,
l'art de la Belle Epoque a été appelé "Pompier" par dérision, à partir du moment
où les peintres impressionnistes ont triomphé après avoir eux-mêmes subi les
moqueries du public durant quelques années.
Les peintres académiques ne
méritent certainement pas la méprisable appellation de "Pompiers" car ils ne
sont pas dépourvus de talent dans l'ensemble. En fait, leur tort c'est surtout
d'avoir été les récipiendaires de commandes officielles, ce qui leur vaudra
d'être contestés par ceux qui n'ont pas été retenus par le jury du Salon et qui
se sont donc trouvés exclus des achats et de la reconnaissance publics.
En
plus, on classa dans la catégorie des "Pompiers" des artistes qui firent souvent
preuve d'originalité et d'audace dans leurs oeuvres comme Gustave Moreau ou
Puvis de Chavannes, alors que d'autres représentants de l'académisme tels que
Meissonier, Carolus-Duran ou Bouguereau ne se limitèrent pas pour autant à
produire de mièvres images.
Tous ces peintres ou presque avaient une
technique très aboutie et une grande culture artistique.
LES PEINTRES
ACADEMIQUES
L'histoire du Salon
Dénommé “exposition” depuis son
origine, il prendra l’appellation “Salon” en 1725, lorsqu’il sera inauguré dans
le “salon carré du Louvre”. Son orthographe évoluera de “sallon” en “salon”.
Celui-ci obtiendra vite un immense succès et deviendra l'événement
incontournable pour se faire connaître, le Salon se déroulera jusqu'en 1848
toujours au Louvre pour ensuite migrer dans différents palais, plus vastes, de
Paris.
A la suite de la protestation de certains exposants mais surtout de
plusieurs artistes dont les oeuvres n'ont pas été acceptées, ce qui amènera les
premières dissidences en 1863, il sera créé une exposition parallèle, le Salon
des Refusés, qui réfute le jury du Salon officiel en lui reprochant son
académisme. Suivra en 1884 la création du Salon des Indépendants et plus tard,
en 1903, celui d'Automne.
LES ACHATS D'ETAT A LA FIN DU
XIXe
La peinture, au sens propre du terme,
fait sans aucun doute partie d'une des plus grandes traditions de toute
l’histoire humaine. Pourtant, depuis une centaine d’années, elle subit de la
part de quelques intellectuels influents - et en particulier la peinture de la
seconde moitié du XIXème siècle - des attaques renouvelées et impitoyables. Ni
la littérature, ni la musique, ni aucun autre domaine culturel n'a connu une
telle mise à l'index. Les tableaux hier primés, appréciés par la grande majorité
du public, et achetés par l'Etat se sont trouvés, après la reconnaissance de
Cézanne et Picasso, remisés et complètement dévalorisés. Sort immérité et la
plupart du temps injustifié.
En effet, ces tableaux qualifiés avec dédain de
"pompier" font souvent preuve, non seulement de maîtrise technique, mais aussi
d'imagination, de diversité, de fantaisie ; bref, de tout ce qui constitue
l'essence même d'une authentique oeuvre d'art. Tous les sujets sont
abordés...
http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Les_Salons3.htm
Des centaines de tableaux à partir de
la seconde moitié du XIXème et durant près d'un siècle ont été acquis par l'Etat
français. Parmi
ceux-ci et selon la mode du moment, un bon nombre représente ce qu'il est
convenu d'appeler, dans toute la richesse de leurs diversités, des nus
académiques.
Quelques-uns sont encore visibles à Orsay, d'autres dans les
musées de province. On peut également penser qu'une partie des peintures a servi
d'élément de décor au logement de hauts fonctionnaires. Mais ensuite, quand la
tendance devint à proprement parler au "Moderne", que sont-ils devenus ?
Pour la
conservation des musées : un simple numéro, un document photographique - à la
localisation inconnue - selon le terme laconique de
l'administration.
http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Les_Salons5.htm
Le Palais du Trocadéro, dont
l'architecture est inspirée de l'art mauresque, est construit pour l'Exposition
Universelle de 1878 et c'est sur ce site que sera construit l'actuel Palais de
Chaillot, pour l'Exposition Universelle de 1937.
La France après la défaite
de 1870 puis une guerre civile, et après quelques temps d'hésitation, choisit le
Champs-de-Mars pour construire un énorme palais rectangulaire (706m sur 304m)
dont les coins sont bordés de pavillons d'angles, et la butte de Chaillot où
elle érigera le Trocadéro.
LES LIEUX D'EXPOSITION A PARIS
Botticelli, Titien, Rubens et Boucher
ont honoré la nudité féminine, lui conférant un statut respectable et en quelque
sorte officiel. Dans la seconde partie du XIXème siècle, les visiteurs du Salon
de Paris ou bien encore ceux des expositions d'été de la Royal Academy de
Londres, peuvent contempler sans problèmes moraux et sans culpabiliser les nus
plus ou moins sensuels de Bouguereau ou de Lord Leighton.
Le Nu "académique",
désormais bien ancré dans la morale bourgeoise, se trouve représenté dans toutes
les manifestations artistiques de l'époque. Il est incontestablement populaire
et avec l'invention de la photographie et du procédé de photogravure, les
reproductions de ces nus de Salon, toujours glabres, seront vendues en énormes
quantités. Des critiques comme Armand Silvestre, des revues, sont même
spécialisés dans la description du genre.
LE NU AU
SALON
Jules Garnier 1873 - Ce tableau semble bien
représentatif du goût qui s'annonce pour la représentation de la nudité
ostentatoire. Ici, il ne s'agit pas de la Vénus de Cabanel mais la pose est tout
autant langoureuse.
L'artiste joue sur les contrastes et pense mettre en
valeur le beau corps blanc de l'européenne par opposition à la présence des
indiens à la peau noire.
Scène incongrue : Que fait-elle, que font-ils ici ?
L'air nonchalant plus qu'hagard, elle regarde le spectateur, eux - les sauvages
- l'observent médusés plus qu'admiratifs. A n'en pas douter, la référence à
quelques faits historiques ou mythiques existe bel et bien mais le spectateur
d'aujourd'hui - et peut-être aussi celui d'hier - l'ignore. Profanes, nous ne
voyons qu'une belle femme allongée qui ne cache rien, pour notre plaisir
sûrement et, finalement, que ferions-nous à la place des deux indiens
?
A noter, la
calligraphie de la signature bien lisible et de grande taille, usage assez
courant à l'époque.
La peinture moderne et la peinture
actuelle ont la plupart du temps évacué le sujet. Au contraire, celui-ci est
omniprésent dans l'art académique et pompier.
Le Nu se trouve ainsi justifié
par la mythologie, par la scène orientale, par la fantaisie parfois même
incongrue.
Le critique d'art de l'époque, Gaston Schéfer, commente avec
lyrisme les peintures exposées en mai et juin 1896 aux Palais des Champs-Elysées
et du Champs-de-Mars, mais sans trop parler d'érotisme, thème encore
tabou.
http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Les_Salons_Nus.htm
Sarkis Diranian - Repos dans une piscine orientale.
A
de rares exceptions près, la vie de la femme d'Orient est le repos. Qui comptera
les journées qu'elle passe au bain, étendue sur un tapis, au bord des piscines
de marbre ? C'est là que s'écoulent les meilleures heures de son existence. Elle
les occupe à manger des fruits, à fumer le narguilé persan, à causer avec des
amies des riens innombrables qui forment la trame de leur vie. En Orient, les
heures s'écoulent si vite qu'on arrive au terme de son âge sans s'être aperçu
qu'on l'a consommé.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle,
un nombre important de femmes peintres, françaises et étrangères, sont actives
professionnellement à Paris, et exposent au Salon, la manifestation annuelle
d’art contemporain. À la différence de leurs confrères, elles ont à se
positionner par rapport à divers préjugés, notamment celui du dilettantisme qui
influence leurs choix stylistiques.
A cette époque, Paris s’affirme comme la
capitale des arts et des idées du monde occidental. Pour beaucoup de peintres,
femmes et hommes confondus, un séjour dans cette cité cosmopolite est perçu
comme indispensable à la consolidation de leur apprentissage, car l’enseignement
traditionnel en vigueur dans les ateliers s’y confronte aux nouvelles tendances
esthétiques.
FEMMES ET
PEINTURES
L'IMAGE DE LA FEMME - Yahvé Dieu dit : "Il n'est pas bon que l'homme soit
seul, il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie."
Alors Yahvé
Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme qui s'endormit. Il prit une de ses côtes
et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme il
façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria : "Pour le coup,
c'est l'os de mes os et la chair de ma chair ! celle-ci sera appelée femme, car
elle fut tirée de l'homme, celle-ci !"
C'est pourquoi l'homme quitte son père
et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. Or tous
deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant
l'autre. La
Genèse, chapitre 2, 18-25
http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/nu_academique2.htm
A partir de 1896, les jeunes femmes auront la
possibilité de fréquenter la bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et
pourront aussi assister aux cours magistraux de perspective, anatomie et
histoire de l'art, à condition qu'elles aient bien rempli les conditions
d'admission.
Elles doivent formuler une requête écrite, être âgées de quinze
à trente ans, et présenter un acte de naissance ainsi qu'une lettre de
recommandation d'un professeur ou d'un artiste confirmé. Pour les prétendantes
étrangères une lettre de leur consulat ou de leur ambassade.
LA MIXITE DES
ETUDES
De tout temps l'homme a aimé contempler
un joli corps de femme, avec ou sans artifices.
Et le peintre, ou le
sculpteur, aura toujours l'avantage sur le photographe de pouvoir regarder deux
fois son modèle, de l'observer en nature et en train de se faire.
Dès lors,
quoi de plus naturel que de se le représenter en peinture et l'artiste du XIXème
siècle s'impose comme un incontestable spécialiste du genre. La femme a perdu
ses formes avec l'arrivée de l'art moderne, les nus académiques, désormais jugés
vulgaires, ont été mis à l'index. Doit-on continuer a en avoir honte
?
LE
SIECLE DU NU
Sans doute l'Atelier de peinture dirigé par Jean-Léon
Gérôme à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris au tout début du XXème siècle.
A
remarquer : Le mur palissade qui sert à essuyer les pinceaux et le
massier, responsable d'atelier, qui présente avec facétie le modèle. Le
contraste est saisissant entre la femme menue et blanche et les fiers "rapins"
en tenues sombres qui l'entourent.
On prend la pose bien sûr mais l'ambiance
paraît plutôt décontractée, on fume au premier plan, on a retroussé le bas du
pantalon - pour faire voir ses bottillons ? Un autre, assis en tailleur, montre
la mallette du peintre, sans oublier de chaque côté les chevalets.
Depuis
peu, les modèles peuvent être également du genre féminin et les femmes quant à elles obtiennent
l'autorisation d'entrer dans un atelier qui leur est tout spécialement destiné
en 1900. Celui-ci, sera codifié comme ses homologues masculins : http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Mixite_Beaux-Arts.htm
Le second document, assurément postérieur, nous montre la même cloison en
bois toujours aussi maculée de peinture et un joyeux désordre avec des élèves
encore très élégants portant gilets, cravates, noeuds fantaisies... Un
d'entre-eux, sous le regard attentif du professeur, termine un portrait
curieusement sans rapport avec
la séance de nu académique.
En règle générale, dans les écoles d'art à Paris comme en province,
le cours de nu académique était incontournable et les séances de pose avaient
lieu une fois par semaine. Le modèle avait droit, sous peine de crampes, à
quelques interruptions de ladite pose à condition bien entendu de retrouver la
position initiale ; pour se faire, des marques sur le sol ou sur la table
tournante et les indications des étudiants lui facilitaient la tâche.
Comme
on peut le constater, les études peintes respectent les règles anatomiques,
l'interprétation personnelle n'est pas encore encouragée, on est là avant tout
pour apprendre le "métier".
Ci-dessous, en hommage aux représentations de
dos, pour le moins sensuelles, de Jean-Léon Gérôme.
JEAN-LEON GEROME
Gérôme, 1886 - Vente d'esclaves à Rome. Tableau chargé de bien des fantasmes masculins. En effet, avec la femme-esclave presque tous les interdits disparaissent, d'ailleurs soyons francs, quel est l'homme qui ne souhaiterait posséder une telle esclave - rien que pour son plaisir - et ne mérite-t-elle pas déjà la fessée ?
Contrairement à Cabanel qui nous montre
la Vénus allongée, Bouguereau et Gérôme ses contemporains nous la présentent
plus traditionnellement debout, bien de face, avec en prime un élégant
déhanchement chez le modèle de Bouguereau.
Débarrassée de ses attributs
mythologiques comme les "putti", il ne reste plus dans les trois tableaux
représentant la naissance de Vénus qu'une belle femme nue, désirable, avec un
corps de nacre à l'anatomie parfaite, dont l'abondante chevelure bien mise en
évidence par un gracieux jeu de mains, renforce encore
une incontestable sensualité. Les peintres n'ont semble-t-il pas boudé leur
plaisir ; sous prétexte de modernité, d'intellectualisme, ne boudons pas le
nôtre... Cabanel paraît s'en donner à coeur-joie, à l'encontre d'une certaine
tradition, il n'hésite pas à montrer avec quelques provocations la belle déesse
à la longue chevelure en train de mettre ostensiblement ses formes en valeur par
un étirement langoureux du corps. Le peintre a peut-être été inspiré en cela par
Auguste Clésinger qui proposa dès 1847 une sculpture pour le moins subjective
"La Femme piquée par un serpent".
WILLIAM BOUGUEREAU
De par la qualité de ses enseignants,
l'Académie Julian acquit rapidement une certaine renommée. Elle put ainsi
présenter ses élèves au Prix de Rome tout en servant de tremplin à ceux qui
ambitionnaient d'exposer dans les Salons ou de se lancer dans une carrière
artistique.
Tout comme dans les écoles des Beaux-Arts, les étudiants sont
souvent livrés à eux-mêmes, il n'est pas rare que le professeur ne fasse qu'une
courte apparition - l'apprentissage se faisant finalement autant à travers
l'émulation et les conseils entre élèves. La discipline n'était pas des plus
rigoureuse et, à l'occasion, les élèves se faisaient remarquer par leurs
canulars et leurs défilés dans les rues, les scandales se succédant jusqu'en
pleine Belle Époque.
Le document représente sans doute le cours de Monsieur
Bouguereau rue du Dragon, l'ambiance est bon enfant et les "rapins" ont pris la
pose pour la photo-souvenir dans un coin de l'atelier, vers les portes-manteaux
et la galerie de portraits. Le modèle, la seule femme de l'assemblée, est
souriante et bien entourée, elle paraît nullement gênée par sa nudité et tient
familièrement un étudiant par le cou avec la main posée sur la tête d'un autre.
Une énigme, le jeune garçon sur la gauche en uniforme ? A noter aussi : le seau
à charbon pas loin du tuyau de poêle et de l'estrade où pose habituellement le
modèle.
L'Académie Julian sera fermée pendant la Seconde Guerre mondiale et
deux de ses ateliers vendus en 1946.
L'atelier de la rue Vivienne
réservé aux femmes se situe au premier étage. C'est l'épouse de Rodolphe Julian,
Amélie Beaury-Saurel qui en avait pris la direction. Les tarifs pour les femmes
étaient le double de celui des hommes au rez-de chaussée.
http://pagesperso-orange.fr/travail-de-memoire/Hommage_Bouguereau.htm
En 1850, les modèles sont alors couramment payés un
franc de l'heure, c'est-à-dire environ trois euros d'aujourd'hui. Vers 1875, la
pose ordinaire de quatre heures coûtera environ cinq francs pour les artistes
mais seulement trois pour les écoles d'art, à la condition toutefois qu'elles
emploient le modèle régulièrement. La photographie, en passe de se démocratiser,
commencera ensuite à concurrencer sérieusement les modèles vivants dans certains
ateliers privés.
Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850
modèles professionnels, très souvent d'origine italienne. Ils résident
essentiellement dans les quartiers de Saint-Victor à Paris. Les femmes, de
préférence avec des formes généreuses, sont alors payées cinq francs, 40 €uros
actuels, pour une séance de quatre heures et les hommes, moins recherchés,
quatre francs pour la même durée.
Selon l'expression
d'alors, on ne trouve pas de cuisse de nymphe à moins de un franc de l'heure,
alors qu'un Jupiter olympien peut se négocier autour de quinze sous, mais un
modèle mâle pose à tout âge tandis que la beauté d'un modèle féminin est
forcément éphémère. Les nobles vieillards à grandes barbes blanches restent
toujours recherchés afin d' incarner quelques Dieux, alors que les femmes aux
formes fluettes ou bien celles qui évoquent les rondeurs à la Rubens doivent
nécessairement être assez jeunes.
Par ailleurs et pour la petite histoire,
avant la séance de pose, il n'est semble-t-il pas rare de demander au modèle de
bien vouloir faire un brin de toilette...
Sans doute Hébert posant dans l'atelier de David d'Angers. Afin d'aider le modèle à tenir la pose, on notera le système de réglage de l'appui.
Auguste Clésinger créa la surprise en
proposant au Salon de 1847 " La Femme piquée par un serpent". Cette sculpture
très remarquée par l'abandon de la pose aux courbes avantageuses utilise la
technique du moulage directement sur le modèle, ce qui renforce sans aucun doute
son charme érotique au parfum de scandale.
Ce beau modèle,
Joséphine-Apollinie Sabatier, fut entre-autre la maîtresse de l'artiste, de
Baudelaire et d'un banquier. Théophile Gautier a vanté la beauté du marbre
:
"Clésinger a résolu ce problème, de faire de la beauté sans mignardise,
sans affectation, sans maniérisme, avec une tête et un corps de notre temps, où
chacun peut reconnaître sa maîtresse si elle est belle".
L'homme n'est pas la femme ! Pour nombre d'entre eux, la
regarder ou encore l'imaginer qui accomplit certains de ses gestes quotidiens,
comme la toilette, constitue une sorte de délectation ; chez la femme cet aspect
"voyeur" reste pour le moins inhabituel. Quand on évoque le sujet, on pense
immédiatement à Edgar Degas avec ses multiples études dessinées, peintes,
modelées ou encore photographiques. Mais, durant ce que l'histoire a appelé la
Belle Époque et plus particulièrement pendant la première décennie du siècle
dernier, une quantité impressionnante de peintures, évoquant de plus ou moins
près la toilette, ont été exposées au Salon de Paris. Les tirages sous forme de
carte postale, toujours sur le marché aujourd'hui, en constituent l'un des
meilleurs témoignages.
Si l'artiste peut parfois effectivement être taxé
du vocable peu glorieux de "voyeur", le modèle féminin qui est consentant et
quel qu'en soit son motif pourra, dès lors, être fort logiquement qualifié
d'impudique.
http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Marie_Bashkirtseff2.htm
Entre femmes, la grande question mais
aussi la grande injustice restera toujours celle du physique et de
l'âge.
Avoir une plastique avantageuse constitue forcément un plus
incontestable et le peintre ou le photographe académique dans le choix de son
modèle ne fait que confirmer cette réalité. Heureusement, l'éventail du goût
demeure large et nul besoin d'être un "top-modèle" pour plaire.
En 1839, le
peintre Paul Delaroche découvrant les premiers daguerréotypes s'inquiéta sur la
concurrence faite à la peinture. Quelque peu radical, il remarque : "A partir
d'aujourd'hui, la peinture est morte..."
Effectivement, le portrait
daguerréotypé, en particulier, est très rapidement prisé par la bourgeoisie qui
le considère plus objectif et surtout meilleur marché et plus moderne que son
homologue peint.
Les premiers photographes seront souvent des peintres
"reconvertis" qui appliqueront tout naturellement dans leurs compositions les
règles académiques alors en vogue.
Quelques grands peintres académiques
Chez Guillaume Seignac le spécialiste
du nu, la nymphe se mue prosaïquement en banal modèle vivant, dans un décor
bourgeois à la mode de l'époque dont on retrouve les éléments dans
plusieurs tableaux.
Cette nymphe, quand il faut, sait prendre la bonne pose - un
peu provocante - pour faire vendre car il s'agit bien aussi de cela et,
d'ailleurs, pourquoi le peintre en aurait-il honte ? Il faut bien vivre ! Le
sujet semble certes léger mais il est néanmoins traité avec talent : Guillaume
Seignac
Georges-Antoine Rochegrosse n’a que vingt-quatre ans à peine
lorsqu’il peint un immense tableau qu’il envoie au Salon de 1883. Il y obtient
une médaille et sa peinture est achetée par l’État.
L'œuvre peut surprendre
avec ses atrocités crues et morbides très détaillées : têtes coupées, traînées
de sang, morts étendus à terre ou suspendus à la muraille - avec, en même temps,
un érotisme avoué qui nous montre la belle poitrine blanche d’Andromaque ainsi
qu'une jeune femme nue étendue au premier plan.
La force de cette peinture
réside dans le réalisme extrême des détails : les éléments archéologiques sont
rendus ici de façon convaincante, de la croix gammée peinte, symbole de la Grèce
ancienne, aux costumes des guerriers en passant par les murailles de la ville de
Troie. Il faut savoir que l'époque redécouvre l'antiquité, les recherches
archéologiques sont alors suivies par un large public. L'artiste a
probablement aussi peint la figure d’Andromaque en s'inspirant de Marie Leblond,
sa femme et sa muse, dont la beauté était admirée du tout Paris : Georges
Rochegrosse
Jules
Lefebvre : Est-elle vraiment candide la si justement nommée "Cigale"
? Le modèle est jeune, peut-être seize ans, guère plus. Il est remarquablement
beau avec ses longs cheveux bruns et son port gracieux ; délicat sans aucun
doute ce corps élancé à l'os iliaque marqué - c'est-à-dire au bassin et hanches
de femme. Cependant, l'adolescente ne paraît pas encore tout à fait femme, à
moins que ce ne soit la représentation de ce que d'aucuns appelleront une
femme-enfant. Dans le genre, le peintre excelle il rivalise même avec William
Bouguereau l'autre spécialiste du nu.
A Tournan-en-Brie, le 14 mars 1834 est né Jules,
Joseph Lefebvre, de Toussaint, Martin Lefebvre, boulanger âgé de 29 ans et de
Caroline, Adélaïde, Joséphine Duval, son épouse âgée de 28 ans.
La famille
s'installe à Amiens où le jeune Lefebvre, remarqué pour ses dons artistiques,
obtient une bourse annuelle de 1.000 F pour continuer ses études. Il entre en
1852 à l'école des Beaux-Arts.
Il participe au premier Salon de Paris dès
1855. Il concourt ensuite pour le Prix de Rome qui vaut à son gagnant cinq
années d'étude à Rome et une réputation lui garantissant une belle carrière. Il
obtient le Grand Prix de Rome en 1861 pour son tableau "la mort de Priam".
En
1870, il devient professeur à L'Académie Julian, un atelier qui forma aussi des
artistes femmes bien avant que celles-ci ne soient autorisées à suivre les cours
de l'école des Beaux Arts. Là, il est dit qu'il insistait particulièrement
auprès de ses étudiants sur la précision absolue du dessin. Il devint l'un des
professeurs préférés des Américains venus étudier à Paris. Parmi ses nombreux
élèves, des américains bien sûr tels que Childe Hassam, Frank Benson, Edmund
Charles Tarbell, mais aussi Georges Rochegrosse, le sculpteur français Paul
Landowski ou le peintre belge Fernand Khnopff.
Grand Prix de l'exposition
universelle de 1889, il devient membre de l'Académie des Beaux-Arts et est élevé
au grade de Commandeur de la Légion d'Honneur en 1898.
Jules Lefebvre est décédé à Paris le 25 février 1912 à
78 ans.
John William
Godward : Il fait partie des peintres académiques de la mouvance inspirée
par le modèle Gréco-Romain, qui s'est épanoui du milieu du XIXème au début du
XXème siècle. Son talent est comparable, à maints égards, à celui de ses
contemporains britanniques Alma-Tadema et Leighton.
On connaît peu de chose sur la vie privée de ce peintre effacé.
Une vie qui devait se terminer tragiquement, dans le secret que lui-même et sa
famille tinrent à conserver sur les causes exactes de son suicide par le gaz, le
mercredi 13 décembre 1922. La vie de John William Godward reste un mystère, un véritable livre censuré,
scellé et protégé par sa famille.
Les peintures d'Emile Vernon sont pour le moins
éloignées de l'art contemporain, de l'expressionnisme allemand et, bien sûr, on
pourra toujours prétendre que ses images sont mièvres, à l'eau de roses et sans
grande signification mais il n'empêche ; elles sont fraîches, agréables à
regarder, elles sont tout simplement 1900. D'ailleurs, à bien y réfléchir,
pourquoi cette production serait-elle plus ridicule, moins honnête et de moindre
valeur que les oeuvres d'aujourd'hui ?
Un peintre académique : Emile
Vernon
Pour en savoir plus : http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/sommaire.htm